Texte de bergson : pensée et matière
Exprimer une idée est le plus souvent une opération difficile, si nous voulons éviter de la simplifier et de lui ôter toutes les nuances qui en font une pensée originale. Selon Bergson, cette difficulté est constitutive de la pensée elle-même, car l’esprit ne se révèle que lorsqu’il s’incarne dans la matière : les mots pour celui qui exprime verbalement sa pensée, l’œuvre concrètement élaborée pour l’artiste. C’est un effort qui donne de la consistance à l’idée, dont l’esprit a même besoin pour son activité. Ce texte, extrait de La conscience et la vie, nous expose donc un paradoxe : l’esprit resterait dans une abstraction inutile et confuse sans la matière qui lui fait obstacle mais en même temps l’aide à produire ses idées. Nous verrons que cette thèse s’oppose à une définition de la pensée pure et autonome, et qu’ainsi Bergson réhabilite la matière, souvent dépréciée par la philosophie traditionnelle ; peut-être est-ce une manière de rappeler que notre existence est indissociable de notre corps, et nous devons cesser de considérer la vie de l’esprit comme un monde absolu, que menacerait le monde matériel.
Pour expliquer ce texte, nous envisagerons en trois moments successifs. Tout d’abord, Bergson part du constat qu’une idée a besoin d’être exprimée par écrit. Ensuite, il introduit la notion d’effort, pour en montrer la fécondité ; enfin (à partir de « Or… » il finit par un éloge de la matière.
Dans un premier temps, Bergson fait un constat, qui concerne chacun d'entre nous: c'est l'expérience que nous connaissons bien, et qui nous conduit à exprimer une pensée en l'écrivant, faute de quoi elle reste obscure et informe. La première phrase du texte insiste bien sur la nécessité d'extérioriser la pensée, et de la répartir visuellement dans un espace matérialisé ici par la feuille : « s'éparpille », « aligné les uns à côté des autres » ; par ces expressions, Bergson veut montrer que la pensée doit changer d'état: