On voit combien le personnage a trouvé d'incarnations différentes et parfois contradictoires. On pourrait presque parler de trois mythes successifs. Le Faust du XVIe siècle, ce magicien pris de vertige et angoissé par l'idée d'être damné, vit en lui-même la tension de deux archétypes différents : d'une part, à l'image de Paracelse, le savant médecin son contemporain, il éprouve l'élan confus de la Renaissance vers la science, le pouvoir, le plaisir. Comme le Théophile médiéval, d'autre part, il conclut un pacte avec le démon, c'est-à-dire renie sa fidélité à Dieu pour jurer fidélité à son adversaire (et ce faisant aliène sa liberté en croyant l'affirmer). Même Marlowe, qui n'est pas sans admirer son Faust, sent la nécessité de le condamner : car, dès lors qu'on prend au sérieux le pacte avec le démon, l'histoire de Faust est l'histoire d'un pécheur, entraîné, dans cette vision religieuse, par le poids d'une faute considérée comme inexpiable. Le romantisme transforme la signification du drame : les désirs très immédiats du Faust primitif s'y trouvent transfigurés en un désir quasi métaphysique d'infini. Cette aspiration à la Connaissance ou à l'Amour fait toute la grandeur de l'homme - mais en même temps doit inéluctablement le conduire à la ruine, à l'échec et au désespoir ; le pacte avec le diable, c'est l'engagement téméraire avec les forces du mal, qui fatalement corrompront un jour le héros, ou du moins l'écraseront. Le drame de Goethe reste à part, encore que son interprétation soit très controversée (cf. H. Schwerte, Faust und das Faustische, 1962) ; il manifeste à coup sûr plus de confiance dans l'aspiration de l'homme à l'idéal, non sans mesurer tragiquement les limites de la liberté. En tout cas, sauvé ou écrasé, Faust tend à devenir un modèle d'humanité, un héros grandiose, ce qu'il n'était nullement, même chez Marlowe. Les générations suivantes amplifient l'idéalisation : le pacte est supprimé ou traité en bagatelle, Faust se mue en