Au bout du chemin... Je garde en mon cœur, bien caché, un souvenir lointain. Celui de la route de ma vie, route de mon existence. Je me souviens et je marche, regardant devant moi vers un avenir incertain et sans retour. Des années se sont écoulées depuis que je suis là. Je sens ce trou gigantesque dans ma poitrine, un manque absolu d'amour et de tendresse. Mes lèvres et mes yeux brûlent, mon ventre se tord, j'ai si mal… Un homme tente de me réveiller. Je sens qu'il me frappe, j’entends ses mots violents et cruels : « Ne m'oblige pas à te relever sale étranger ! ». Étranger... Qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce parce que je ne leur ressemble pas ? Parce que je ne crois pas au même dieu ? Étranger... Ce mot fuse, il résonne ici entre les cris de terreur et les larmes de désespoir. Et plus je l'entends plus j'aimerais me lever et crier que je suis là, que je suis vivant, comme tous ceux qui sont ici. Hurler que le bonheur existe, qu'au bout de la route se trouve la liberté. Mais je reste allongé, aucun mot ne sort de ma bouche, aucun murmure ne s'échappe de mes lèvres.
Je pense sans vraiment le vouloir, mes souvenirs passent comme des nuages vaporeux, sans que je n'y fasse vraiment attention. Ils se mélangent lentement comme des vagues qui viennent et repartent aussitôt. Je pense à avant, au soleil, à la joie, à l'herbe verte sous mes pieds, à ma mère, à ma sœur et quelques fois à mon père. Je me rappelle de la vie, celle où les seules difficultés étaient d'apprendre par cœur les comptines du professeur, celle où les seules blessures que j'avais étaient des égratignures de mes chutes de vélo, celle où Sophie, ma sœur, avait les joues roses et gonflées et celle où Papa avait toujours son regard froid et sévère. Je repense à tout ça, comme si Sophie n'avait pas disparu, comme si le regard de mon père ne s'était pas empli de désespoir et d'inquiétude. Et je me soucie, entre deux sombres pensées, de ce qu'est devenu mon beau vélo rouge. Mais le souvenir s'en va,