Tristant et iseut
Texte intégral « Brunain, la vache au prêtre » Jean Bodel
C’est l’histoire d’un paysan et de sa femme. Le jour de la fête de la Vierge[1], ils s’en vont prier à l’église. Pendant l’office[2], naturellement, le prêtre fait son sermon. Il dit que si l’on comprend les choses on voit tout de suite qu’il fait bon donner beaucoup pour le Bon Dieu ; ce qu’on lui donne de tout son cœur, il vous le rend au double. « Tu as entendu, ma femme, ce qu’a dit le curé ? fait le paysan. Celui qui donne de tout son cœur pour le Bon Dieu, il reçoit deux fois plus. Qu’est-ce que tu en penses ? Nous ne pouvons pas employer mieux notre vache qu’en la donnant au prêtre pour le Bon Dieu, je crois bien. Tu es d’accord ? - D’accord, fait la femme. À cette condition-là, je veux bien. Je la donne. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Ils s’en retournent chez eux. Le paysan entre dans l’étable, prend la vache par sa longe[3] et va l’offrir au prêtre. Celui-ci était habile, et rusé. Il écoute. « Beau Sire[4], dit le paysan, les mains jointes, pour l’amour de Dieu je vous donne Blérain.[5] » Il lui met dans les mains la longe de la vache et il lui jure que maintenant sa femme et lui ne possèdent plus rien du tout. « Ami, tu viens d’agir comme un sage, dit le curé Dom Constant qui ne pense jamais qu’à prendre. Va en paix, tu as très bien rempli tes devoirs. Si tous mes paroissiens[6] étaient aussi sages que vous deux, j’aurais beaucoup de bêtes ! » Le paysan s’en va et le curé donne l’ordre à son clerc[7] d’attacher Blérain (pour qu’elle prenne de nouvelles habitudes) avec sa propre vache Brunain, une belle vache assez grande. Le clerc la mène au pré, attache les deux vaches ensemble, puis il les laisse… La vache du curé se penche, elle veut paître. La vache du paysan, elle, ne veut pas se baisser, et elle tire sur la longe, — elle tire tellement fort qu’elle entraîne Brunain hors du pré, qu’elle l’emmène avec elle, par les rues d’abord, puis par