ubu roi
Le seul nom d’Ubu a fait davantage pour rendre célèbre Alfred Jarry que tout l’ensemble de son œuvre, et le personnage a depuis longtemps acquis une existence autonome, dépassant le champ de la littérature. Son origine et l’usage qu’en fit Jarry ne sauraient d’ailleurs en aucun cas être réduits à la dimension littéraire, dont il est aussi la négation et la parodie.
Venant de Saint-Brieuc, le jeune Alfred Jarry arriva au lycée de Rennes en octobre 1888, en classe de première; il y devint l’ami d’Henri Morin, l’un de ses condisciples, qui lui fit connaître un ensemble de textes dont le héros était M. Hébert, professeur de physique au lycée de Rennes depuis 1881 et victime constante de terribles chahuts. Les élèves avaient en outre inventé une vaste littérature dont M. Hébert, surnommé (entre autres) le père Heb ou père Ébé, était le héros: drames, épopées, chansons, vantaient sa gloire dérisoire et ses exploits ridicules. De cette production abondante recueillie par Charles Morin, frère aîné d’Henri, Jarry retint plusieurs textes, dont un drame, les Polonais, où l’on voit le père Heb devenir roi de Pologne... Il en organisa des représentations sur un petit théâtre familial, dès le mois de décembre 1888, d’abord avec des marionnettes, puis en théâtre d’ombres. Quittant Rennes, Jarry conserva ces manuscrits des frères Morin et, peu à peu, transforma les documents bruts. En avril 1893, il publie Guignol dans l’Écho de Paris mensuel illustré: le père Heb, devenu père Ubu, y paraît pour la première fois, «ancien roi de Pologne et d’Aragon, docteur en pataphysique». Puis Jarry publie le texte d’Ubu roi au printemps 1896, avant de le faire jouer en décembre de la même année au théâtre de l’Œuvre, haut lieu de l’avant-garde,