Un passant nyctalope-préface à sebhat gèbrè-egziabhér
Préface à Les Nuits d’Addis Abeba, de Sebhat Gèbrè-Egziabér, Actes Sud, 2004) À Reidulf Molvaer, David Vô Vân, Senadu Abbèbè
Au début était la nuit. La nuit. Ce n’est pas peu dire en Éthiopie si l’on veut bien considérer que si près de l’Équateur la nuit est toute l’année presque aussi longue que le jour. Dès 1819 heures, le crépuscule donne le signal d’un renversement des couleurs. Couleurs de la ville et couleurs intérieures. Le chiche éclairage urbain ajoute à la densité de la pénombre. Les Fèrendjs (les étrangers) ont en plus la sensation de changer en même temps de saison, quotidiennement — passant d’une journée estivale débraillée à une soirée de novembre prudemment emmitouflée. On tutoie l’atmosphère sans mesurer qu’on est à 2500 mètres d’altitude. Traîtres tropiques. Mais l’Éthiopie tout entière est une incertitude continue. Avec la nuit, l’incroyable profusion des estaminets semble comme démultipliée. Gargotes incertaines, sombres buvettes, improbables guinguettes à hydromel ou troquets criards donnent à la capitale éthiopienne un air résolument borgne. Telle une grande marée, tout un monde se retire graduellement. Un autre monde s’ébroue avec la même indolence. Le poulailler urbain s’endort, le peuple de la nuit émerge sans partage. Depuis sa création par l’empereur Menelik II dans les années 1880, AddisAbeba (“La Nouvelle Fleur”) n’a pas cessé d’abriter un fourmillant foyer de bistrots et autres lieux de rencontres. Un auteur français originaire de Géorgie, le docteur Mérab, rapporte que de 50 tavernes estimées en 1909, la capitale en comptait plus de 1000 en 1922, essentiellement tenues par des femmes. Moins d’un demi-siècle plus tard, un futur compositeur d’hymne national, Daniel Yohannes, écrit avec une réprobation de commande qu’il n’y en a désormais pas moins de 10 000 :
À la campagne toute vie s’éteint après le coucher du soleil, mais Addis ne s’arrête jamais. À peine l'obscurité commence-t-elle à donner le signe du