Une mort bizarre d'alphonse allais
La plus forte marée du siècle (c'est la quinzième que je vois et j'espère bien que cette jolie série ne se clorra pas de sitôt) s'est accomplie mardi dernier, 6 novembre.
Joli spectacle, que je n'aurais pas donné pour un boulet de canon, ni même deux boulets de canon, ni trois.
Favorisée par une forte brise S.-O., la mer clapotante affleurait les quais du Havre et s'engouffrait dans les égouts de ladite ville, se mélangeant avec les eaux ménagères, qu'elle rejetait dans les caves des habitants.
Les médecins se frottaient les mains : " Bon cela! se disent-ils ; à nous les petites typhoïdes! "
Car, le croirait-on? Le Havre-de-Grâce est bâti de telle façon que ses égouts sont au-dessus du niveau de la mer. Aussi, à la moindre petite marée, malgré l'énergique résistance de M. Rispal, les ordures des Havrais s'épanouissent, cyniques, dans les plus luxueuses artères de la cité.
Ne vous semble-t-il pas, par parenthèse, que ce saligaud (1) de François ler au lieu de traîner une existence oisive dans les brasseries à femmes du carrefour Buci, n'aurait pas mieux fait de surveiller un peu les ponts et chaussées de son royaume?
N'importe! C'était un beau spectacle.
Je passai la plus importante partie de ma journée sur la jetée, à voir entrer des bateaux et à en voir sortir d'autres.
Comme la brise fraîchissait, je relevai le collet de mon pardessus. Je m'apprêtais à en faire autant pour le bas de mon pantalon (je suis extrêmement soigneux de mes effets), quand apparut mon ami Axelsen.
Mon ami Axelsen est un jeune peintre norvégien plein de talent et de sentimentalité.
Il a du talent à jeun et de la sentimentalité le reste du temps.
A ce moment, la sentimentalité dominait.
Était-ce la brise un peu vive? Était-ce le trop-plein de son coeur?... Ses yeux se remplissaient de larmes.
" Eh bien? fis-je, cordial, ça ne va donc pas, Axelsen?
- Si, ça va. Spectacle superbe, mais douloureux souvenir. Toutes les Plus fortes marées du siècle brisent mon