Utopie
2 L’ancien amateur d’épigrammes durant son séjour d’Oxford ne dédaignait pas l’ironie, et la sienne apparaît moins douce qu’a bien voulu le dire son ami Érasme1. Dans son Utopie, il trahit le mépris de ses contemporains tels qu’ils sont avant la transformation salvatrice, à travers des noms grecs ou para-grecs choisis à dessein, puisque son héros et porte-parole se dit admirateur des Grecs. Le narrateur des merveilles de l’île d’Utopie, le capitaine Raphaël, a pris comme surnom Hythlodée, « celui qui craint les conversations futiles » – et non, comme on le lit parfois, l’affabulateur, le colporteur de sornettes – d’où la réserve et la méfiance bien bourgeoise envers les bavardages à la table des grands et dans les conseils des princes qu’il manifeste plusieurs fois. Le pays auquel le conquérant Utopus/*Ou-topos, « Sans lieu », va donner son nom, Utopia, s’appelait auparavant Abraxa, qui, sous le masque d’une consonance vaguement magique, est Apraxia, le pays de « Fainéantise », le mal que Thomas More entend éradiquer d’Angleterre ; les citoyens sont des Aleopolites, des « Citoyens insensés » ; la cité d’Amauria est « sombre », comprenons l’anglais dull, stupide. Les voisins français ne valent pas mieux : le roi d’Achorie, sur les bords de l’Euronston/*Euroon-stoma, « L’embouchure (de la mer) au cours abondant », la Manche, vis à vis d’Utopie, a deux royaumes, comme François Ier, roi de France et prétendant en Italie ; les Achoriens français, plutôt que des a-chôroi, sans patrie, sont des a-chreioi, des « Bons à rien ». Les