Valéry
Il court sur La Fontaine une rumeur de paresse et de rêverie ; illusion d’une tapisserie vaste et variée dans l’Adonis. N’allons pas croire que quelque amateur de jardin à demi ahuri, à demi inspiré puisse être l’auteur authentique d’Adonis. Prenons garde que la nonchalance est, ici, savante ; la mollesse, étudiée ; la facilité, le comble de l’art. Ce n’est pas avec des absences et des rêves que l’on impose à la parole de si précieux et de si rares ajustements. La véritable condition d’un véritable poète est ce qu’il y a de plus distinct de l’état de rêve. Je n’y vois que recherches volontaires, assouplissement des pensées, consentement de l’âme à des gênes exquises, et le triomphe perpétuel du sacrifice. Celui même qui veut écrire son rêve de doit d’être infiniment éveillé. Qui dit exactitude et style invoque le contraire du songe. Le La Fontaine des Fables est plein d’artifices. Etrange abîme entre les discours que nous tiennent les oiseaux, les feuillages, les idées, et celui que nous leur prêtons. Différence mystérieuse impression/ expression achevée devient la plus grande possible quand l’écrivain impose à son langage le système des vers réguliers. Je ne puis m’empêcher d’être intrigué par l’espèce d’obstination qu’ont mise les poètes à se charger de chaînes volontaires. Poètes avaient le plus grand intérêt à donner le plus haut degré de liberté à leur esprit. Autre chose qui est étonnant : notre époque a vu naître presque autant de prosodies qu’elle a compté de poètes. Chacun faisait de son oreille et e son cœur un diapason et une horloge universelle. N’était-ce pas risquer d’être mal entendus, mal lus, mal déclamés ? Mais les personnes qui redoutent l’incertitude des échanges entre l’auteur et le lecteur trouvent assurément dans la fixité du nombre des syllabes, et dans les symétries plus ou moins factices du vers ancien, l’avantage de limiter ce risque d’une manière