victor
C'est la nuit ; la nuit noire, assoupie et profonde.
L'ombre immense élargit ses ailes sur le monde.
Dans vos joyeux palais gardés par le canon,
Dans vos lits de velours, de damas, de linon,
Sous vos chauds couvre-pieds de martres zibelines,
Sous le nuage blanc des molles mousselines,
Derrière vos rideaux qui cachent sous leurs plis
Toutes les voluptés avec tous les oublis,
Aux sons d'une fanfare amoureuse et lointaine,
Tandis qu'une veilleuse, en tremblant, ose à peine
Éclairer le plafond de pourpre et de lampas,
Vous, duc de Saint-Arnaud, vous, comte de Maupas,
Vous, sénateurs, préfets, généraux, juges, princes,
Toi, César, qu'à genoux adorent tes provinces,
Toi qui rêvas l'empire et le réalisas,
Dormez, maîtres... - Voici le jour. Debout, forçats !
C'était la première soirée
C'était la première soirée
Du mois d'avril.
Je m'en souviens, mon adorée.
T'en souvient-il ?
Nous errions dans la ville immense,
Tous deux, sans bruit,
A l'heure où le repos commence
Avec la nuit !
Heure calme, charmante, austère,
Où le soir naît !
Dans cet ineffable mystère
Tout rayonnait,
Tout ! l'amour dans tes yeux sans voile,
Fiers, ingénus !
Aux vitres mainte pauvre étoile,
Au ciel Vénus !
Notre-Dame, parmi les dômes
Des vieux faubourgs,
Dressait comme deux grands fantômes
Ses grandes tours.
La Seine, découpant les ombres
En angles noirs,
Faisait luire sous les ponts sombres
De clairs miroirs.
L'oeil voyait sur la plage amie
Briller ses eaux
Comme une couleuvre endormie
Dans les roseaux.
Et les passants, le long des grèves
Où l'onde fuit,
Étaient vagues comme les rêves
Qu'on a la nuit !
Je te disais : - " Clartés bénies,
Bruits lents et doux,
Dieu met toutes les harmonies
Autour de nous !
Aube qui luit, soir qui flamboie,
Tout a son tour ;
Et j'ai l'âme pleine de joie,
Ô mon amour !
Que m'importe que la nuit tombe,