Vide
Laurent Mucchielli
(article paru dans Actuel Marx, 1999, n°26, pp. 85-108)
Résumé : Cet article propose une réflexion sociologique sur les « violences urbaines ». Il s'efforce de clarifier des débats parfois confus et des notions souvent mal définies. S'appuyant sur de nombreux travaux de terrain menés dans les quartiers relégués depuis une quinzaine d’années, ainsi que sur les recherches plus récentes sur la culture hip hop, il tente de comprendre certaines conduites violentes des jeunes à partir du sens que ces acteurs leur attribuent. Il est amené ainsi à s'appuyer fortement sur la notion de représentation sociale, dont la représentation de classe peut être considérée comme un exemple parmi d'autres.
1. Violence et modernité : faux débats civilisationnels, vrais enjeux socio-politiques
Quel est le sens des violences urbaines ? Parmi le flot ininterrompu des discours médiatiques, politiques et sociologiques (qui ne sont pas nécessairement imperméables les uns aux autres, tant s'en faut), on peut repérer au moins quatre grands types de conceptualisation proposant des généralités stéréotypées dont il faut selon nous se méfier.
1. Le retour des classes dangereuses. Ce premier type, aussi vieux que la société industrielle, est constitué par les préjugés bourgeois traditionnels à l'encontre des jeunes des milieux populaires. Sont ainsi incriminés le manque d'éducation ou la mauvaise éducation dispensée par les parents, l'oisiveté et l'errance noctambule, l'absence de normes provoquant le non-respect de la loi, de l'autorité, de la morale et de la politesse, la consommation de cannabis (jadis c'était l'alcool). Il y a trente ans, J.-C. Chamboredon et M. Lemaire (1970, 23-24) constataient déjà que « C'est dans les conflits qui naissent à propos des jeunes que l'on peut le mieux