Zezeff
La première partie du livre est consacrée au « culte du nombre », et c’est la plus passionnante. L’auteur y montre que, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, « la mathématique devient le modèle du raisonnement et de l’action utile », et que « la pensée du chiffrable et du mesurable devient le prototype de tout discours vrai, en même temps qu’elle instaure l’horizon de la quête de perfectibilité des sociétés humaines ».
Leibniz est incontestablement l’un des fondateurs de cette pensée rationaliste, grâce auquel il va désormais être possible d’organiser, de classer, de hiérarchiser hommes et bêtes, pensées et territoires. Avec l’avènement de l’algorithme et de la pensée logique, les continuateurs de Leibniz vont fort... logiquement s’essayer à élaborer la pensée mathématique comme la langue universelle, au départ au moins avec des intentions généreuses. Ainsi Leibniz lui-même s’efforce-t-il de voir le mécanisme de la réduction des plus simples principes en nombres comme une possibilité de se jouer des frontières et d’amener, entre autres, la Chine à l’intérieur de la Respublica Christiana...
Francis Bacon, prenant la suite de Descartes, rêve d’une langue philosophique dite « a priori », capable d’organiser et d’embrasser tous les savoirs. Et il revient à John Wilkins, un ecclésiastique anglais, de proposer le premier une « langue analytique », ancêtre des langages de programmation. Autant d’essais passionnés qui vont servir aussi à l’essor de sciences nouvelles, comme la statistique ou la géostratégie.
C’est que, après le temps des penseurs, vient celui des gestionnaires (déjà), qui utilisent les avancées scientifiques pour organiser les États et les territoires. Bien sûr, c’est en Allemagne que l’on découvre les premières applications décisives de cette formalisation, au travers de Tabellen qui permettent « d’embrasser du regard les différents États classés en ligne selon un ensemble de caractéristiques comparables ». Mais, en France,