A la mystérieuse : j’ai tant rêvé de toi
2404 mots
10 pages
Au cœur des nuits, les amants rêvent de celles qu’ils aiment, et s’ils sont poètes, ils recueillent leurs rêves dans leurs vers. Depuis les origines de la poésie lyrique amoureuse, le rêve de la femme aimée constitue un topos récurrent. Le rêve aiguise le désir, offre à l’amant un espace où réaliser l’union impossible, mais, pour apaisant qu’il soit, reste secondaire par rapport à la conquête de la femme aimée. Dans son recueil Corps et Biens, publié en 1930, Robert Desnos reprend ce topos du rêve de la femme aimée, dans un poème en prose intitulé « A la mystérieuse : j’ai tant rêvé de toi ». La thématique du rêve et du sommeil est particulièrement chère à Desnos, comme d’ailleurs à tous les surréalistes : il partage avec ses amis Breton, Aragon, Eluard… la fascination pour le pouvoir de l’inconscient. Tous se livrent à des expériences diverses pour explorer le continent mystérieux de l’onirisme, et Breton salue à plusieurs reprises les dons exceptionnels de medium de Desnos, par ailleurs sujet au somnambulisme. De fait, l’onirisme est au cœur de ce poème, et infléchit ainsi considérablement le topos lyrique traditionnel.
Comment ce poème d’amour paradoxal organise-t-il l’effacement progressif de la femme réelle, pour faire triompher le sujet rêvant, et le rêve sur la vie ?
Le poème est d’abord structuré par un mouvement de désincarnation progressif. Le poète fait petit à petit gagner l’onirisme sur la rencontre réelle avec la femme. Enfin, cette rencontre de l’onirisme et de la poésie donne naissance à un poème quasi hypnotique. I. UN MOUVEMENT DE DESINCARNATION ET D’EFFACEMENT PROGRESSIF 1.1 De l’adresse à la femme à la solitude du rêveur La poésie lyrique amoureuse est le lieu privilégié de la subjectivité. Dans le poème s’exprime un JE, poète et amant, omniprésent. Il apparaît dès le titre : « j’ai tant rêvé de toi ». D’emblée, dès la dédicace, le sujet écrivant est mis sur le même plan que la destinatrice. Ceci constitue la première entorse au