J. locke
IDENTITÉ ET DIFFÉRENCE
Essai sur l’entendement humain,
Livre II, Chapitre xxvii
[Trad. Étienne Balibar, revue par G. Brykman, Seuil, 1998]
§ 1. En quoi consiste l’identité. Une autre occasion pour l’esprit de faire des comparaisons lui est offerte par l’être même des choses, lorsque, considérant qu’une chose existe à un certain moment et à une certaine place, nous la comparons avec elle-même existant à un autre moment, et formons de là les idées de l’identique et du différent. Quand nous voyons que quelque chose est en quelque lieu à quelque moment du temps, nous pouvons être certains que c’est bien cette chose (quelle qu’en soit d’ailleurs la nature), et non une autre qui au même moment existe en un autre lieu, si semblables et indiscernables qu’elles puissent être pour tout le reste : en cela consiste la relation d’identité, que les idées auxquelles elle est attribuée ne changent en rien par rapport à ce qu’elles étaient au moment où nous considérons leur existence antérieure, et auquel nous comparons leur existence présente. De ce que nous ne trouvons jamais ni ne pouvons concevoir que deux choses de même espèce puissent exister à la même place au même moment, nous concluons à bon droit que tout ce qui existe quelque part à un moment donné en exclut tout ce qui est de même espèce, et s’y trouve soi seul. Lorsque donc nous voulons savoir si une chose est ou non la même, la question porte toujours sur quelque chose qui a existé à tel moment en tel lieu, et dont il était assuré à ce moment qu’elle était la même qu’elle-même et non une autre : d’où il suit qu’une seule chose ne peut avoir eu deux commencements d’existence, pas plus que deux choses un seul commencement, puisqu’il est impossible que deux choses de même espèce soient ou existent au même instant à la même place ; ou une seule et même chose à des places différentes. Ce qui a eu un seul commencement est donc la même chose, et ce qui a commencé à exister à des moments et en des