L'arrivée du servenant
L'ARRIVÉE DU SURVENANT
Un soir d'automne, au Chenal du Moine, comme les Beauchemin s'apprêtaient à souper, des coups à la porte les firent redresser. C'était un étranger de bonne taille, jeune d'âge, paqueton au dos, qui demandait à manger.
- Approche de la table. Approche sans gêne, Survenant, lui cria le père Didace.
D'un simple signe de la tête, sans même un mot de gratitude, l'étranger accepta. Il dit seulement:
- Je vas toujours commencer par nettoyer le cochon.
Après avoir jeté son baluchon dans l'encoignure, il enleva sa chemise de laine à carreaux rouge vif et vert à laquelle manquaient un bouton près de l'encolure et un autre non loin de la ceinture. Puis il fit jouer la pompe avec tant de force qu'elle geignit par trois ou quatre fois et se mit à lancer l'eau hors de l'évier de fonte, sur le rond de tapis, et même sur le plancher où des noeuds saillaient çà et là. Insouciant l'homme éclata de rire; mais nul autre ne songeait même à sourire. Encore moins Phonsine qui, mécontente du dégât, lui reprocha :
- Vous savez pas le tour !
Alors par coups brefs, saccadés, elle manoeuvra si bien le bras de la pompe que le petit baquet déborda bientôt. De ses mains extraordinairement vivantes l'étranger s'y baigna le visage, s'inonda le cou, aspergea sa chevelure, tandis que les regards s'acharnaient à suivre le moindre de ses mouvements. On eût dit qu'il apportait une vertu nouvelle à un geste pourtant familier à tous.
Dès qu'il eut pris place à table, comme il attendait, Didace, étonné, le poussa :
- Quoi c'est que t'attends, Survenant ? Sers-toi. On est toujours pas pour te servir.
L'homme se coupa une large portion de rôti chaud, tira à lui quatre patates brunes qu'il arrosa généreusement de sauce grasse et, des yeux, chercha le pain. Amable, hâtivement, s'en taillait une tranche de deux bons doigts d'épaisseur, sans s'inquiéter de ne pas déchirer la mie. Chacun de la tablée