L'avantage de la science
Entre deux Bourgeois d'une Ville S'émut (1)jadis un différend. L'un était pauvre, mais habile, L'autre riche, mais ignorant. Celui-ci sur son concurrent Voulait emporter l'avantage : Prétendait que tout homme sage Etait tenu de l'honorer.
C'était tout homme sot ; car pourquoi révérer Des biens dépourvus de mérite ? La raison m'en semble petite. Mon ami, disait-il souvent Au savant, Vous vous croyez considérable ; (2) Mais, dites-moi, tenez-vous table ? (3)
Que sert à vos pareils de lire incessamment ? (4)
Ils sont toujours logés à la troisième chambre,
Vêtus au mois de Juin comme au mois de décembre,
Ayant pour tout Laquais leur ombre seulement. La République a bien affaire De gens qui ne dépensent rien : Je ne sais d'homme nécessaire
Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.
Nous en usons, Dieu sait : notre plaisir occupe
L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe,
Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez À Messieurs les gens de finance De méchants livres bien payés. Ces mots remplis d'impertinence Eurent le sort qu'ils méritaient.
L'homme lettré se tut, il avait trop à dire.
La guerre le vengea bien mieux qu'une satire.
Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient. L'un et l'autre quitta sa ville. L'ignorant resta sans asile ; Il reçut partout des mépris :
L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle. Cela décida leur querelle.
Laissez dire les sots ; le savoir a son prix.
(1) s'éleva
(2) qui doit être considéré
(3) tenir table : donner à manger
(4) sans