L'hétérogénéité du monde et du langage
Les structures globales du langage s’opposent aux structures globales de l’objet : les formes discursives sont impropres à saisir l’expérience qui sollicite un sens étranger au discours1. En même temps que le voyageur découvre des paysages, il découvre l’inadéquation des outils du langage. L’argument de l’indicible ne deviendrait-il pas alors un geste rhétorique pour valoriser l’objet ? La posture de l’énonciation y est en tout cas sérieusement engagée. On retrouve ici les tenants du débat sophiste. En effet, le rapport entre parole et monde extérieur est envisagé comme une complexe relation d’inclusion-exclusion : la parole se situe dans le monde où elle s’énonce, et en même temps s’évacue comme objet intenable. La théorie sophiste est en effet une réflexion très radicale sur le statut du discours. Chez Gorgias, le sujet traité est mis en abyme, traduisant par la même occasion l’impossibilité de traduire un énoncé référentiel au travers de sa structure même. Les figures de style insistent d’ailleurs sur cette étanchéité du langage au monde : le travail horizontal (échos internes, structurels, sonores, et rythmiques) est à mettre en opposition avec le vertical (le réel). Le temps apparaît également comme une notion importante : son aspect discontinu (série d’instants) altère la cohérence et la lisibilité : la parole se disperse en divers segments hétérogènes qui ne valent que pendant le temps de la lecture, et jusqu’au segment suivant. Cette discontinuité de la parole est donc à opposer à l’idée de lecture globale. La parole du sophiste défend la mise en place de dispositifs qui autonomisent et interdisent toute lecture stabilisante en vu d’un sens unique, dans le but de préserver l’étanchéité radicale du discours au monde. Néanmoins, la pensée de choses non-existantes rend-elle pour autant l’existence non-pensée ? Faut-il prôner une généralisation du principe de fiction ?
L’écriture référentielle se heurte à ce problème