L'injustice
Le sentiment d’injustice est un phénomène à prendre en considération car c’est par lui que nous découvrons la nécessité de son contraire. En effet lorsque la justice règne, il n’y pas lieu de se plaindre. La découverte de l’injustice nous sensibilise à l’importance de la justice en introduisant en nous le désir d’un ordre conforme au droit. Quelle portée doit-on cependant accorder à cette expérience ? La conviction intime d’assister ou d’être victime d’un scandale conduit à réagir. Autorise-t-elle pour autant à s’affran- chir des lois établies ? Ce pas paraît légitime, mais il pose une double difficulté. Le sentiment est-il un guide sûr ? En second lieu, transgresser les lois, n’est-ce pas toujours commettre à son tour une injustice ? Il faut donc évaluer ce sentiment dans ses rapports avec la légalité.
1. Nature et intérêt du sentiment
A. La plainte
Le sentiment d’injustice est une donnée importante de l’expérience humaine. Il s’exprime dans des textes très anciens. Les Travaux et les Jours d’Hésiode, au VIIe siècle avant Jésus-Christ, expriment la plainte de l’homme victime des rois corrompus, « mangeurs de présents », qui rendent des jugements iniques. Dans la Bible, des prophètes juifs clament leur colère en voyant les riches mépriser les pauvres et les puissants écraser les faibles. La plainte de la conscience blessée par le spectacle de l’injustice a une double valeur. Elle exprime une souffrance et elle accuse en son nom. Le droit en a conservé la trace. Nous portons plainte quand nous estimons subir un dommage. Les tribunaux prennent alors notre cas en charge, mais la naissance du processus n’est pas juridique. Il provient d’un sentiment d’indignation et de révolte.
B. Les situations injustes
La perception de l’injustice est celle d’un inégalité criante. Toute inégalité n’est pas injuste. Certaines obéissent à une règle de proportionnalité. Nous ne sommes pas forcément choqués que certains aient un salaire supérieur à d’autres,