L assommoir prototype du roman noir urbain
L’Assommoir d’Émile Zola : prototype du roman « noir » urbain. Par Guy Talon
(Toutes les citations extraites des Rougon-Macquart renvoient à l’édition du Livre de Poche et, en particulier à L’Assommoir, 534 p. avec une préface de Cavanna, des notes et des commentaires d’Auguste Dezalay.) L’Assommoir, roman du destin annoncé dès sa préface (« J’ai voulu peindre la déchéance fatale d’une famille ouvrière dans le milieu empesté de nos faubourgs »), du destin de Gervaise écrasée de toute façon, préfigure le roman noir tel qu’il apparaîtra, d’abord, aux États-Unis, quand mourut Stephen Crane (Maggie, fille des rues, 1896) et quand parurent Les Rapaces de Frank Norris (1896) et Sister Carrie (1900) de Théodore Dreiser. Rompant avec les « extravagances » (Michel Raymond) du roman noir gothique, différent des beaux et sombres « romans-poèmes » de Victor Hugo (Notre-Dame de Paris, Les Travailleurs de la mer, L’homme qui rit), différent des romans de Balzac pour lequel, dans le monde cruel et passionné qu’il crée, les destins tragiques sont, en partie, nécessaires à l’ascension des ambitieux1, proche de Madame Bovary (transposition artistique de l’affaire Delamare), ce type de roman — dont s’inspireront les romans et les films policiers d’origine américaine ou anglaise — s’efforce de cerner au plus près la condition humaine, sous des cieux vides, pour en extraire toute l’obscurité. Conçu comme « le moyen privilégié de l’expression du tragique contemporain » (Malraux), il trouvera le cadre le plus adapté à son épanouissement dans l’extension du paysage urbain. Celui des grandes villes industrielles, surtout, avec leur cortège de miséreux, de déracinés qu’un choc peut faire basculer dans les bas-fonds. À l’intérieur de ces grandes villes (mais aussi dans les villes de province des premiers romans de Green ou dans celle du Sang noir), sous le masque du quotidien, se dissimulent l’angoisse et la peur de ces instants où les êtres et