L'ÉTRANGER
Séquence : L’ÉNIGME DU PERSONNAGE.
DOCUMENT COMPLÉMENTAIRE : Une réécriture de l’incipit de L’Étranger
DOCUMENT COMPLÉMENTAIRE : Une réécriture de l’incipit de L’Étranger
Incipit de Rue des Rigoles de Gérard Mordillat (2005)
Incipit de Rue des Rigoles de Gérard Mordillat (2005)
Le jour où ma mère est morte, j'ai pleuré comme une madeleine.
J'ai pleuré à l'hôpital en refusant que l'infirmière lève le drap qui la recouvrait de la tête aux pieds. J'ai pleuré devant ce petit mont de coton blanc sous lequel je devinais son corps rétréci par la mort, redevenu presque un corps d'enfant. J'ai pleuré en signant la décharge pour reprendre ses vêtements, sa montre, son sac... J'ai pleuré en choisissant la robe et les chaussures qu'elle porterait dans son cercueil. J'ai pleuré parce que ce n'est pas à un fils de choisir les vêtements de sa mère, même pour la conduire à sa dernière demeure. J'ai pleuré pied au plancher, emportant mon chagrin et mon frère à cent quarante à l'heure.
J'ai pleuré dans l'escalier en remontant chez moi, en revoyant, marche après marche, la chambre mortuaire éclairée d'une simple barre de néon cru, l'infirmière au garde-à-vous au pied du lit, le suaire posé sur le cadavre de ma mère, cette page inemployée pourtant déjà froissée. J'ai pleuré devant mes filles, devant ma femme, même devant la chatte qui se demandait ce qui me prenait de pleurer comme ça. J'ai pleuré en pensant que ma mère avait vécu à New York, à Chicago, dans le
Montana, le Maine, l'Ohio, qu'elle avait traversé l'Amérique d'ouest en est, fait trois fois l'aller et retour transatlantique entre le vieux et le nouveau continent, et venait de mourir à Bligny, près d'Arpajon, un bled dont le nom ne m'évoquait que le haricot et la pomme de terre.
Mon père était mort dans le XVe arrondissement, un arrondissement où je ne mets jamais les pieds. Mourrais-je, moi aussi, en terre étrangère ?
Moi qui, d'ordinaire, ne pleure qu'en dedans, j'ai pleuré comme