L’empereur Kangxi et les sciences : réflexion sur l'histoire comparée
Catherine Jami *
Les études comparées sont indispensables pour intégrer chaque champ de recherche dans le contexte intellectuel plus large d’une discipline et pour articuler entre elles les différentes disciplines. Pourtant, en histoire des sciences, comme parfois ailleurs dans les études chinoises, la comparaison avec le monde occidental s’impose plus souvent qu’elle n’est choisie. Il y a là une profonde asymétrie : pour un spécialiste de l’Europe, établir une comparaison avec la Chine ou une autre civilisation peut sembler curieux ou original, mais jamais nécessaire à une interprétation pertinente de ses sources 1 . Les discussions avec nos collègues « occidentalistes » commencent souvent par une question formulée par eux en termes de : « Est-ce que les Chinois avaient… ? » au sujet d’une caractéristique qui leur paraît fondamentale, voire universelle, dans la discipline que nous partageons avec eux. L’histoire des sciences se prête particulièrement à de telles questions, sans doute parce que l’universalité des vérités scientifiques est souvent perçue comme un axiome plutôt que comme un phénomène historique. La vision classique est normative : nous connaîtrions aujourd’hui « la vérité » sur une question, et chercherions à savoir si, au cours de l’histoire, les Chi-
*
Catherine Jami est Chargée de recherches au CNRS, REHSEIS-UMR 7596, Paris.
À cet égard, Geoffrey Lloyd reste une exception qui confirme la règle ; voir ses ouvrages depuis 1990, et notamment Lloyd & Sivin (2002).
1
Études chinoises, vol. XXV (2006)
Catherine Jami
nois s’en sont approchés autant que les Européens, sans trop nous demander si les uns ou les autres cherchaient en fait à s’approcher de notre « vérité ». Plus qu’une comparaison, c’est une compétition qui sous-tend de telles questions.
Le fameux « problème de Needham », qui est à la source de son œuvre et fait encore couler