S Quence 2 Texte Analytique 14 Echenoz Texte
Texte Analytique n°4 : Extrait de 14, Jean Echenoz.
C’est alors qu’après les trois premiers obus tombés trop loin, puis vainement explosés au-delà des lignes, un quatrième percutant de 105 mieux ajusté a produit de meilleurs résultats dans la tranchée : après qu’il a disloqué l’ordonnance du capitaine en six morceaux, quelques uns de ses éclats ont décapité un agent de liaison, cloué Bossis par le plexus à un étai de sape, haché divers soldats sous divers angles et sectionné longitudinalement le corps d’un chasseur-éclaireur. Posté non loin de celui-ci, Anthime a pu distinguer un instant, de la cervelle au bassin, tous les organes du chasseur-éclaireur coupés en deux comme sur une planche anatomique, avant de s’accroupir spontanément en perte d’équilibre pour essayer de se protéger, assourdi par l’énorme fracas, aveuglé par les torrents de pierre, de terre, les nuées de poussière et de fumée, tout en vomissant de peur et de répulsion sur ses mollets et autour d’eux, ses chaussures enfoncées jusqu’aux chevilles dans la boue.
Tout a ensuite paru sur le point de s’achever : l’opacité se défaisant peu à peu dans la tranchée, une sorte de calme y revenait, même si d’autres détonations énormes, solennelles, sonnaient encore tout autour d’elle mais à distance, comme en écho. Les épargnés se sont relevés plus ou moins constellés de fragments de chair militaire, lambeaux terreux que déjà leur arrachaient et se disputaient les rats, parmi les débris de corps çà et là — une tête sans mâchoire inférieure, une main revêtue de son alliance, un pied seul dans sa botte, un oeil.
Le silence semblait donc vouloir se rétablir quand un éclat d’obus retardataire a surgi, venu d’on ne sait où et on se demande comment, bref comme un post-scriptum. C’était un éclat de fonte en forme de hache polie néolithique, brûlant, fumant, de la taille d’une main, non moins affûté qu’un gros éclat de verre. Comme s’il s’agissait