3947 CultureFb

41387 mots 166 pages
BERNARD QUIRINY

L’ANGOISSE
DE LA PREMIÈRE
PHRASE
Nouvelles

PHÉBUS

Illustration de couverture :
Tom Curry
Tourista (détail)
© Éditions Phébus. Paris. 2005 www phebus-editions.com

L’ANGOISSE
DE LA PREMIÈRE PHRASE

Qu’une phrase soit la dernière, il enfaut une autre pour le déclarer, et elle n’est donc pas la dernière.
JEAN-FRANÇOIS LYOTARD

La première phrase : voilà l’ennemi. C’est ce que pensa Gould le jour où il décida d’écrire le livre auquel il songeait depuis de nombreuses années.
Devant sa feuille blanche, il passa des heures à chercher la première phrase idéale. Sans cesse il posa la pointe de son stylo sur le papier et tentait de libérer son poignet pour dessiner la boucle de la première lettre ; il s’interrompait à chaque fois avec la certitude horripilante qu’il y avait une meilleure manière de démarrer le texte. Tout ce qu’il écrivait en découlerait, une mauvaise première phrase contaminerait tout le livre. Elle devait être un roc, un granit sur quoi construire en toute sécurité, il
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fallait la travailler jusqu’à atteindre la perfection. La majorité de ses futurs lecteurs commencerait par elle, elle était en quelque sorte l’équivalent de la main qu’on tend lors d’un premier rendez-vous. Si vous ongles sont sales ou que vous écrasiez les doigts de votre interlocuteur en secouant sa main comme un moineau mort, vous ne risquez pas de produire une impression favorable. Il en va de même pour les premiers mots d’un livre. Gould les traqua durant toute une journée comme s’ils étaient une bête rusée et retorse, avec l’impression troublante d’être engagé avec eux dans une lutte sans merci.
C’est
sans doute cette angoisse du commencement qui a conduit à l’invention de l’exergue. L’exergue est une façon de tricher sur la première phrase en l’empruntant à un écrivain célèbre. Gould était opposé à ce procédé, qui était pour lui une forme de lâcheté. D’après lui, il était à la portée de n’importe qui de tirer d’un chefd’œuvre une phrase dont le génie

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