972 1690 1 SM
Sophie Ménard
Université de Lorraine
Déjà, avant le grand cycle des Rougon-Macquart, Thérèse Raquin d’Émile Zola, publié en 1867, est un roman qui joue le seuil, où les identités sont poreuses et liminaires, et où la délimitation entre l’univers des vivants et celui des morts est perméable.
Parce qu’il met en scène un revenant dont les fonctions premières sont de « cristallise[r] […] — tel est son destin! — toutes les figures de la marge » (Albert, 1996) et de générer divers degrés de croyance, il amalgame des mondes symboliques antinomiques, mobilisant des cadres conceptuels composites permettant de penser le rapport problématique qu’entretiennent les vivants avec les trépassés. Hantés par le
www.revue-analyses.org, vol. 9, nº 1, hiver 2014
fantôme de leur victime qu’ils ont violemment noyée afin de vivre au grand jour leur passion adultérine, Thérèse et Laurent font l’expérience de la visite du mort. De quelle nature est ce défunt qui revient de l’au-delà ? Nous faisons l’hypothèse que le texte fait du revenant une figure polysémique et polymorphe qui prend la forme à la fois d’une hallucination, suivant une lecture de type positiviste défendue par l’auteur et le narrateur; d’un remords, suivant la lecture psychologique qu’en ont faite les contemporains de Zola; et, enfin, d’un mort malveillant qui revient d’outre-tombe pour supplicier ses meurtriers, suivant la lecture de l’événement réalisée par les personnages principaux.
Les variations, voire les belligérances, de points de vue entre les diverses instances et niveaux énonciatifs du récit renvoient à des cosmologies (manières de dire et de penser le monde, ici, des vivants en fonction — ou non — des morts) hétérogènes et à des savoirs pluriels qui a priori s’excluent, mais qui textuellement coexistent. Étant le lieu d’une dialogie culturelle, dans laquelle savoir psychiatrique et pensée symbolique se dynamisent selon des procédés d’amalgame,