Acte 3 misanthrope
CLITANDRE, ACASTE.
CLITANDRE
Cher Marquis, je te vois l’âme bien satisfaite,
Toute chose t’égaye, et rien ne t’inquiète.
En bonne foi, crois-tu, sans t’éblouir les yeux,
780 Avoir de grands sujets de paraître joyeux ?
ACASTE Parbleu, je ne vois pas, lorsque je m’examine,
Où prendre aucun sujet d’avoir l’âme chagrine.
J’ai du bien, je suis jeune, et sors d’une maison
Qui se peut dire noble, avec quelque raison ;
785 Et je crois, par le rang que me donne ma race,
Qu’il est fort peu d’emplois, dont je ne sois en passe.
Pour le cœur [1] , dont, sur tout, nous devons faire cas,
On sait, sans vanité, que je n’en manque pas ;
Et l’on m’a vu pousser, dans le monde, une affaire [2] ,
790 D’une assez vigoureuse, et gaillarde manière.
Pour de l’esprit, j’en ai, sans doute [3] , et du bon goût,
À juger sans étude, et raisonner de tout ;
À faire aux nouveautés, dont je suis idolâtre,
Figure de savant, sur les bancs du théâtre [4] ;
795 Y décider, en chef, et faire du fracas
À tous les beaux endroits qui méritent des has [5] .
Je suis assez adroit, j’ai bon air, bonne mine,
Les dents belles, surtout, et la taille fort fine.
Quant à se mettre bien, je crois, sans me flatter,
800 Qu’on serait mal venu, de me le disputer.
Je me vois dans l’estime, autant qu’on y puisse être,
Fort aimé du beau sexe, et bien auprès du maître :
Je crois, qu’avec cela, mon cher Marquis, je croi,
Qu’on peut, par tout pays, être content de soi.
CLITANDRE
805 Oui, mais trouvant ailleurs, des conquêtes faciles,
Pourquoi pousser ici, des soupirs inutiles ?
ACASTE Moi ? parbleu, je ne suis de taille, ni d’humeur,
À pouvoir, d’une belle, essuyer la froideur.
C’est aux gens mal tournés, aux mérites vulgaires,
810 À brûler, constamment [6] , pour des beautés sévères ;
À languir à leurs pieds, et souffrir leurs rigueurs,
À chercher le secours des soupirs, et des pleurs,
Et tâcher, par des soins d’une très longue suite,