Alain caillé
par Alain Caillé Qu’est-ce qui fait que certaines villes semblent invivables, tandis que d’autres dégagent un charme inépuisable? Que tel ensemble architectural nous parle quand tel autre nous fait horreur? On sait à quel point ces questions s’exacerbent avec la querelle de l’architecture moderne. Que nous ne parvenons pas à trancher. Car, à la fois, nous détestons nos villes massifiées et fonctionnelles, nos grands ensembles qui nous donnent le sentiment d’une perte irréparable de l’harmonie entrevue dans ce qui subsiste des villes anciennes; et, en même temps, nous ne pouvons envisager d’y faire retour. Pourquoi faire de l’ancien avec du neuf, en effet? Comment donc construire nos villes, désormais? Telles sont les questions — les questions de tout le monde — que nous nous posions en lançant le projet de ce numéro il y a un ou deux ans. Un peu à l’aveuglette au départ, car jamais le M.A.U.S.S. ne s’était attaqué à ce type de questions, le plus souvent abandonnées aux urbanistes, aux ingénieurs et aux architectes. Ou alors objet de spéculations philosophiques quelque peu incantatoires sur la perte de « l’habiter ». Une certitude néanmoins nous animait : celle qu’il existe une étroite connivence et interdépendance entre le fonctionnalisme architectural et urbanistique — celui qui triomphe avec le Bauhaus et la charte d’Athènes, et qui cristallise au plus haut point la représentation que la modernité du XXe siècle se sera donnée d’elle-même — et l’utilitarisme théorique qui domine depuis deux siècles dans les sciences sociales, en philosophie politique et, sans doute, en politique tout court. Au minimum, il valait la peine de tenter de démêler certains des fils qui assurent la traduction d’un type de discours et de pratiques dans un autre. Avec un peu de chance, nous serions ainsi peut-être à même de faire apparaître des éclairages inattendus et d’esquisser quelques conclusions, au moins hypothétiques et provisoires. C’est le résultat de cette