Albert camus extrait
Annenkov : C’est lui. C’est lui ! Voilà Stepan.
Dora : Quel bonheur, Stepan !
Stepan : Bonjour, Dora. (15)
Dora : Trois ans déjà.
Stepan : Oui, trois ans. Le jour où ils m’ont arrêtés, j’allais vous rejoindre.
Dora : Nous t’attendions. Le temps passait et mon cœur se serrait de plus en plus. Nous n’osions plus nous regarder.
Annenkov : Il a fallu changer d’appartement, une fois de plus.
Stepan : Je sais.
Dora : Et là-bas, Stepan ?
Stepan : Là-bas ?
Dora : Le bagne ?
Stepan : On s’en évade. (16)
Annenkov : Oui. Nous étions contents quand nous avons appris que tu avais pu regagner la Suisse.
Stepan : La Suisse est un autre bagne, Boria.
Annenkov : Que dis-tu ? Ils sont libres, au moins.
Stepan : La liberté est un bagne aussi longtemps qu’un seul homme est asservi sur terre. J’étais libre et je ne cessais de penser à la Russie et à ses esclaves.
Annenkov : Je suis heureux, Stepan, que le parti t’ait envoyé ici.
Stepan : Il le fallait. J’étouffais. Agir, agir enfin... Nous le tuerons, n’est-ce pas ?
Annenkov : J’en suis sûr. (17)
Stepan : Nous tuerons ce bourreau. Tu es le chef, Boria, et je t’obéirai.
Annenkov : Je n’ai pas besoin de ta promesse, Stepan. Nous sommes tous frères.
Stepan : Il faut une discipline. J’ai compris cela au bagne. Le parti socialiste révolutionnaire a besoin d’une discipline. Disciplinés, nous tuerons le grand-duc et nous abattrons la tyrannie.
Dora : Assieds-toi, Stepan. Tu dois être fatigué, après ce long voyage.
Stepan : Je ne suis jamais fatigué. Tout est-il prêt, Boria ?
Annenkov : Depuis un mois, deux des nôtres étudient les déplacements du grand-duc. Dora a réuni le matériel nécessaire. (18)
Stepan : La proclamation est-elle rédigée ?
Annenkov : Oui. Toute la Russie saura que le grand-duc Serge a été exécuté à la bombe par le groupe de combat du parti socialiste révolutionnaire pour hâter la