Albert camus
Ces repérages permettent alors de proposer une interprétation fondée: à l'aide de ses expériences les plus personnelles, Montaigne donne ici une certaine image de l'homme: il le peint en perpétuel changement; il souligne le mouvement qui l'anime. L'Homme est multiple et divers. En présentant cette image, le texte met en œuvre la fonction que Montaigne attribuait lui-même à son écriture: Je ne peins pas l'être. Je peins le passage: non un passage d'âge en autre [...] mais de jour en jour, de minute en minute (Essais, III, 2).
Pour Montaigne, somme toute, l'homme est un être fort limité. Alors peut-il avoir accès à la connaissance du bien, du beau et du vrai ? Avons-nous la possibilité de communiquer avec l'être des choses ? Un autre extrait des Essais de Montaigne nous met sur la piste d'une réponse.
Les autres forment l'homme ; je le recite et en represente un particulier bien mal formé, et lequel, si j'avoy à façonner de nouveau, je ferois vrayement bien autre qu'il n'est. Mes-huy c'est fait. Or les traits de ma peinture ne fourvoyent point, quoy qu'ils se changent et diversifient. Le monde n'est qu'une branloire perenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d'Ægypte, et du branle public et du leur. La constance mesme n'est autre chose qu'un branle plus languissant. Je ne puis asseurer mon object. Il va trouble et chancelant, d'une yvresse naturelle. Je le prens en ce point, comme il est, en l'instant que je m'amuse à luy. Je ne peins pas l'estre. Je peins le passage [...]
Michel Eyquem de Montaigne, Essais, livre III, chap. II : "Du repentir" 1580.
"Je ne peins pas l'être. Je peins le passage." Pour comprendre cette affirmation, il nous faut examiner comment, pour Montaigne, nous connaissons. * À la source de toutes nos connaissances, il y a toujours nos sensations, nos impressions sensibles. Mais nos sens sont incertains et falsifiables. * Quant à nos connaissances