analyse extrait les choses de Georges Perrec
Ils se promenaient souvent le soir, humaient le vent, léchaient les vitrines. Ils laissaient derrière eux le Treizième tout proche, dont ils ne connaissaient guère que l’avenue des Gobelins, a cause de ses quatre cinémas, évitaient la sinistre rue Cuvier, qui ne les eût conduits qu’aux abords plus sinistres de la gare d’Austerlitz, et empruntaient, presque invariablement, la rue Monge, puis la rue des Ecoles, gagnaient Saint-Michel, Saint-Germain, et, de là, selon les jours ou les saisons, le Palais-Royal, l’Opéra, ou la gare Montparnasse, Vavin, la rue d’Assas, Saint-Sulpice, le Luxembourg. Ils marchaient lentement. Ils s’arrêtaient devant chaque antiquaire, collaient leurs yeux aux devantures obscures, distinguaient, a travers les grilles, les reflets rougeâtres d’un canapé en cuir, le décor de feuillage d’une assiette ou d’un plat de faïence, la luisance d’un verre taille ou d’un bougeoir de cuivre, la finesse galbée d’une chaise canée.
De station en station, antiquaires, librairies, marchands de disques, cartes des restaurants, agences de voyage, chemisiers, tailleurs, fromagers, chausseurs, confiseurs, charcuteries de luxe, papetiers, leurs itinéraires, composaient leurs véritables univers : là reposaient, leurs ambitions, leurs espoirs. Là était la vraie vie, la vie qu’ils voulaient connaitre, qu’ils voulaient mener : c’était pour ces saumons, pour ces cristaux, que, vingt-cinq ans plus tôt, une employée et une coiffeuse les avaient mis au monde.
Les Choses est un roman de Gorges Perrec écrit en , il raconte la vie de personnages cherchant à être heureux