ANNE VEGA
Les désordres du jour
Ce chapitre livre, pêle-mêle, les premières impressions de l'ethnologue, lorsqu'il est encore un peu noyé par son terrain, happé par l'agitation qui anime l'ensemble des blouses blanches le matin. De 7 heures à 13 heures, les services de soins sont en effet balayés par les chassés-croisés de professionnels focalisés sur l'accomplissement coordonné d'une multitude de tâches. Le temps se mesure alors avec une extrême précision, chaque segment de la matinée étant planifié et correspondant à une activité précise. Cependant, à y regarder de plus près, la priorité est donnée aux soins médicaux, en dépit de la forte présence de petits personnels, situés à l'autre extrémité de la pyramide des soins, comme un iceberg. Et lorsque le temps relâche un peu son étreinte, l'urgence consiste à palier les dysfonctionnements de tous ordres, présents, passés ou à venir. Ces aléas quotidiens semblent même prendre toute la place, limitant sérieusement la disponibilité à l'égard du malade. Ils conditionnent surtout l'humeur et précipitent la fatigue de chacun, provoquant chez les infirmières des discours stéréotypés à l'égard de tous ceux qui gâchent le temps pour rien : les malades ou le petit personnel qui demandent des informations supplémentaires, les cadres qui ne font que passer, les médecins qui ne savent pas, l'équipe précédente ou suivante qui ne travaille jamais assez. Il faut alors apprendre à lire entre les lignes, prendre le temps d'écouter des aveux d'hommes et de femmes plus pudiques et plus profonds qu'il n'y paraît en première analyse.
Aujourd'hui, il y a trois infirmières dans la première salle et deux aides-soignantes. " C'est le jour des entrants, ils arrivent au compte-gouttes ". L'infirmière Louise réécrit sur une feuille les soins de ses malades, puis se charge des chambres du fond, c'est son " habitude ". L'infirmière parle peu avec le reste de l'équipe. Elle a déjà pris son thé, avec son amie, l'aide-soignante Renée, car elles