Anthologie de poésie - contraires
BATTRE LA CAMPAGNE
Il met sa fièvre à la fenêtre pour la faire sécher il boit la bonne tisane des herbiers an regardant voler les hêtres et marcher les chemins vicinaux et les ruines se disloquer les herbes aller de droite et de gauche et dans le ciel des petits nuages en forme d’autruche au goût de miel les animaux ont mis leurs habits du dimanche c’est un conte de fées le malade va mieux il reprend sur la planche sa température essorée tout cela n’était qu’une anicroche dans un tissu trop serré
Raymond Queneau (1903-1976), Battre la campagne (1968)
JOSEPH
même mon père mon papa se met à pleurer devant tout le monde à notre table le jour qu’ils sont venus la mère et lui pour l’anniversaire de leur petite-fille il pleure sur le mot
«gémissement» quand il raconte la blessure qu’eut son père à la guerre la grande son père auquel son fils cadet ressemble tant.
Thierry Le Pennec (né en 1955), Nono (2009)
LE POÈTE ET LA CIGALE
Un poète ayant rimé, IMPRIMÉ
Vit sa Muse dépourvue
De marraine, et presque nue :
Pas le plus petit morceau
De vers... ou de vermisseau.
Il alla crier famine
Chez une blonde voisine,
La priant de lui prêter
Son petit nom pour rimer.
(C’était une rime en elle)
— Oh ! je vous paîrai, Marcelle,
Avant l’août, foi d’animal !
Intérêt et principal. —
La voisine est très prêteuse,
C’est son plus joli défaut :
— Quoi : c’est tout ce qu’il vous faut ?
Votre Muse est bien heureuse...
Nuit et jour, à tout venant,
Rimez mon nom.... Qu’il vous plaise !
Et moi j’en serai fort aise.
Voyons : chantez maintenant.
Tristan Corbière(1845-1875), Les Amours Jaunes, 1873
LA CIGALE ET LA FOURMI
La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister