Anthologie des poèmes d'amour
A la plus belle Nul ne l'a vue et, dans mon coeur, Je garde sa beauté suprême ; (Arrière tout rire moqueur !) Et morte, je l'aime, je l'aime. J'ai consulté tous les devins, Ils m'ont tous dit : " C'est la plus belle ! " Et depuis j'ai bu tous les vins Contre la mémoire rebelle. Oh ! ses cheveux livrés au vent ! Ses yeux, crépuscule d'automne ! Sa parole qu'encor souvent J'entends dans la nuit monotone. C'était la plus belle, à jamais, Parmi les filles de la terre... Et je l'aimais, oh ! je l'aimais Tant, que ma bouche doit se taire. J'ai honte de ce que je dis ; Car nul ne saura ni la femme, Ni l'amour, ni le paradis Que je garde au fond de mon âme. Que ces mots restent enfouis, Oubliés, (l'oubliance est douce) Comme un coffret plein de louis Au pied du mur couvert de mousse.
Charles Cros
« J'ai tant rêvé de toi »
J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivantEt de baiser sur cette bouche la naissance De la voix qui m'est chère?
J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués En étreignant ton ombreA se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pasAu contour de ton corps, peut-être.Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hanteEt me gouverne depuis des jours et des années,Je deviendrais une ombre sans doute.O balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus tempsSans doute que je m'éveille.Je dors debout, le corps exposéA toutes les apparences de la vieEt de l'amour et toi, la seulequi compte aujourd'hui pour moi,Je pourrais moins toucher ton frontEt tes lèvres que les premières lèvreset le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,Couché avec ton fantômeQu'il ne me reste plus peut-être,Et pourtant, qu'a être fantômeParmi les fantômes et plus ombre Cent fois que l'ombre qui se promèneEt se promènera allègrementSur le cadran solaire de ta vie.
Robert Desnos, "Corps et biens".
L'amoureuse Elle est debout sur mes paupièresEt ses cheveux sont dans les