2. Mors Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ. Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant, Noir squelette laissant passer le crépuscule. Dans l'ombre où l'on dirait que tout tremble et recule, L'homme suivait des yeux les lueurs de la faulx. Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux Tombaient; elle changeait en désert Babylone, Le trône en l'échafaud et l'échafaud en trône, Les roses en fumier, les enfants en oiseaux, L'or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux. Et les femmes criaient : -- Rends-nous ce petit être. Pour le faire mourir, pourquoi l'avoir fait naître? -- Ce n'était qu'un sanglot sur terre, en haut, en bas; Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats; Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre; Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre Un troupeau frissonnant qui dans l'ombre s'enfuit; Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit. Derrière elle, le front baigné de douces flammes, Un ange souriant portait la gerbe d'âmes. Mars 1854. Victor Hugo, Les Contemplations (1856) Victor Hugo 1802-1885
Commentaire :
Nous avons choisi ce poème tout d'abord pour son titre ; Le thème de la mort est omniprésent dans ce texte. Elle agit en tout lieu et concerne tout le monde, elle domine, marque le territoire. Ce texte montre à l'homme qui croit être tout puissant que la mort ne peut être arrêtée . D'autre part, on remarque le mépris de la mort face aux hommes auxquels elle ôte la vie. 2. El Desdichado
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,Le prince d'Aquitaine à la tour abolieMa seule étoile est morte, - et mon luth constelléPorte le soleil noir de la Mélancolie.Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,Et la treille où le pampre à la rose s'allie.Suis-je Amour ou Phébus ? ... Lusignan ou Biron ?Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;J'ai rêvé dans la grotte