Anthologie sur les regrets
Du Bellay, Les Regrets. Sonnet XIX - 19
Cependant que tu dis ta Cassandre divine,Les louanges du roi, et l’héritier d’Hector,Et ce Montmorency, notre français Nestor,Et que de sa faveur Henri t’estime digne :Je me promène seul sur la rive latine,La France regrettant, et regrettant encorMes antiques amis, mon plus riche trésor,Et le plaisant séjour de ma terre angevine.Je regrette les bois, et les champs blondissants,Les vignes, les jardins, et les prés verdissantsQue mon fleuve traverse: ici pour récompenseNe voyant que l’orgueil de ces monceaux pierreux,Où me tient attaché d’un espoir malheureuxCe que possède moins celui qui plus y pense.
Du Bellay, Les Regrets. Sonnet XXV - 25
Malheureux l’an, le mois, le jour, l’heure, et le point,Et malheureuse soit la flatteuse espérance,Quand pour venir ici j’abandonnai la France :La France, et mon Anjou dont le désir me poingt.
Vraiment d’un bon oiseau guidé je ne fus point,Et mon cœur me donnait assez signifianceQue le ciel était plein de mauvaise influence,Et que Mars était lors à Saturne conjoint.
Cent fois le bon advis lors m’en voulut distraire,Mais toujours le destin me tirait au contraire :Et si mon désir n’eut aveuglé ma raison,
N’était ce pas assez pour rompre mon voyage,Quand sur le seuil de l’huis, d’un sinistre présage,Je me blessai le pied sortant de ma maison ?
Du Bellay, Les Regrets. Sonnet XXIX - 29
Je hais plus que la mort un jeune casanier,Qui ne sort jamais hors, sinon au jour de fête,Et craignant plus le jour qu’une sauvage bête,Se fait en sa maison lui même prisonnier.
Mais je ne puis aimer un vieillard voyager,Qui court deçà delà, et jamais ne s’arrête,Ains des pieds moins léger, que léger de la têteNe séjourne jamais non plus qu’un messager.
L’un sans se travailler en sûreté demeure,L’autre qui n’a repos jusques à tant qu’il meure,Traverse nuit et jour mille lieux dangereux.
L’un passe riche et sot heureusement sa vie,L’autre plus souffreteux qu’un pauvre qui