Anthologie
La Cour du Lion
1 Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître de quelles nations le Ciel l'avait fait maître.
Il manda donc par députés
Ses vassaux de toute nature,
5 Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec son sceau. L'écrit portait
Qu'un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière, dont l'ouverture
10 Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
15 Quel Louvre ! Un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
20 Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif il loua la colère
Et la griffe du Prince, et l'antre, et cette odeur :
Il n'était ambre, il n'était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
25 Eut un mauvais succès, et fut encore punie.
Ce Monseigneur du Lion-là
Fut parent de Caligula.
Le Renard étant proche : Or çà, lui dit le Sire,
Que sens-tu ? Dis-le-moi : parle sans déguiser.
30 L'autre aussitôt de s'excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
Sans odorat ; bref, il s'en tire.
Ceci vous sert d'enseignement :
Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
35 Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.
Jean de La Fontaine
Analyse La Cour du Lion :
Cette fable, écrite par La Fontaine en 1678 décrit la cour et ses courtisans mais surtout la façon dont il faut s’y prendre pour être accepté auprès du roi et le comportement à avoir en sa présence. Le roi voulant connaitre son royaume invite tous les alentours à un « grand festin » qui sera pour certains, fatal. La Fontaine critique l’hypocrisie des courtisans V21 « flatteur excessif » mais également le pouvoir du roi (symbolisé par le lion dans cette fable)