Anthology poétique sur le regret
Joachim du Bellay (1522-1560) Les Regrets (1558), sonnet XII Vu le soin1 ménager2 dont travaillé3 je suis, Vu l’importun souci qui sans fin me tourmente, Et vu tant de regrets desquels je me lamente,Tu t’ébahis souvent comment chanter je puis.
Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuisa,Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chanteb ;Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante : Voilà pourquoi, Magny, je chante jours et nuits.
Ainsi chante l’ouvrier4 en faisant son ouvrage4,Ainsi le laboureur faisant son labourage,Ainsi le pèlerin regrettant sa maison,
Ainsi l’aventurier en songeant à sa dame,Ainsi le marinier en tirant à la rame,Ainsi le prisonnier maudissant sa prison. z Stéphane Mallarmé (1842-1898) Don du poème
Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée ! Noire, à l’aile saignante et pâle, déplumée,Par le verre brûlé d’aromates et d’or,Par les carreaux glacés, hélas ! mornes encorL’aurore se jeta sur la lampe angélique, Palmes ! et quand elle a montré cette reliqueA ce père essayant un sourire ennemi,La solitude bleue et stérile a frémi.Ô la berceuse, avec ta fille et l’innocenceDe vos pieds froids, accueille une horrible naissanceEt ta voix rappelant viole et clavecin,Avec le doigt fané presseras-tu le seinPar qui coule en blancheur sibylline la femmePour des lèvres que l’air du vierge azur affame ?
Pierre de Ronsard (1524-1585)Les Amours de Marie (1555)J'ai l'âme de regrets touchée Sonnet XI.J'ai l'âme, pour un lit, de regrets si touchée, Que nul homme jamais ne fera que j'approche De la chambre amoureuse, encore moins de la couche Où je vis ma maîtresse, au mois de Mai couchée.Un somme languissant la tenait mi-penchée Dessus le coude droit, fermant sa belle bouche Et ses yeux, dans lesquels l'archer Amour se couche, Ayant toujours la flèche à la corde encochée :Sa tête, en ce beau mois, sans plus, était couverte D'un riche escofion (1) ouvré de soie verte, Où les Grâces venaient à l'envie se