Madame Bovary est considere aujourd'hui comme un des plus grands classiques de la litterature. Comme son sous-titre l'indique, moeurs de province, c'est un roman de moeurs dans le sillage des Scenes de la vie de province de Balzac. Flaubert y decrit la vie quotidienne d'une bourgade normande sous la monarchie de Juillet, inserant ses personnages dans une geographie minutieusement detaillee. Mais la chronique est vite depassee par une veritable fresque sociale qui embrasse sur huit annees toute une societe provinciale, decrivant ses milieux et transformations. Yonville, a l'image de la France, rurale de l'epoque, est un microcosme ou se cotoient petite bourgeoisie, paysans et exclus. Mais, a la difference de Victor Hugo ou de George Sand, le temoignage sociologique n'est pas ici au service d'un requisitoire social ou d'un projet politique. Le romantisme social est mort avec l'echec de la revolution de 1848. Celui-ci se nourrissait d'une foi en l'homme et d'un optimisme revolutionnaire etrangers a Flaubert. Le realisme de Madame Bovary s'inspire au contraire d'un pessimisme radical a l'egard de l'humanite, dont l'ecrivain traque le derisoire, le grotesque et le neant. Partageant le desenchantement d'une generation impregnee d'ideaux romantiques et brisee par l'Histoire, Flaubert redige d'abord un livre rageur et ironique sur la betise. Mais le mot ici designe bien davantage qu'un banal defaut d'intelligence individuel ou collectif. Sa portee est moins satirique qu'ontologique. C'est l'expression d'une vision du monde envisagee << du point de vue d'une blague superieure >> (Amossy 55), le mot caracterise l'existence humaine dans sa double dimension grotesque et derisoire. La peinture d'Yonville, du pharmacien Homais, superbe specimen de pseudo-savant de chef-lieu de canton, la description des comices agricoles, sont egalement bien connues pour la derision jetee par Flaubert sur la societe de son temps et la betise humaine. Dans le roman, Flaubert critique