Article "guerre" dans le dictionnaire philosophique de Voltaire
Le merveilleux de cette entreprise infernale, c'est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain. Si un chef n'a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois mille hommes, il n'en remercie point Dieu ; mais lorsqu'il y en a eu environ dix mille d'exterminés par le feu et par le fer, et que, pour comble de grâce, quelque ville a été détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue1, composée dans une langue inconnue2 à tous ceux qui ont combattu, et de plus toute farcie de barbarismes3. La même chanson sert pour les mariages et pour les naissances, ainsi que pour les meurtres : ce qui n'est pas pardonnable, surtout dans la nation la plus renommée pour les chansons nouvelles. […]
On paye partout un certain nombre de harangueurs pour célébrer ces journées meurtrières ; les uns sont vêtus d'un long justaucorps noir, chargé d'un manteau écourté ; les autres ont une chemise par-dessus une robe ; quelques-uns portent deux pendants d'étoffe bigarrée par-dessus leur chemise. Tous parlent longtemps ; ils citent ce qui s'est fait jadis en Palestine, à propos d'un combat en Vétéravie4.
Le reste de l'année, ces gens-là déclament contre les vices. Ils prouvent en trois points et par antithèses que les dames qui étendent légèrement un peu de carmin5 sur leurs joues fraîches seront l'objet éternel des vengeances éternelles de l'Éternel; que Polyeucte et Athalie6 sont les ouvrages du démon ; qu'un homme qui fait servir sur sa table pour deux cents écus de marée un jour de carême fait immanquablement son salut, et qu'un pauvre homme qui mange pour deux sous et demi de mouton va pour jamais à tous les diables. […]
Misérables médecins des âmes, vous criez pendant cinq quarts d'heure sur quelques piqûres d'épingle, et vous ne dites rien sur la maladie qui nous déchire en mille morceaux ! Philosophes moralistes, brûlez tous vos