Atita
Léopold Sédar Senghor accumule dans Chants d’Ombre les souvenirs d’un passé lointain, couvrant surtout les sept premières années de son enfance, période qui n’a pas été affectée d’une corruption extérieure. Le poète réussit à ressusciter ses innombrables moments édéniques pour se remettre, à l’heure présente, du déséquilibre psychologique qui le secoue. En effet, Chants d’Ombre a été composé en France à l’époque où Senghor était amené à y poursuivre ses études supérieures. Sa présence dans le pays colonisateur sème le malaise dans son âme. Outre qu’il souffre de sa condition d’exilé, le plaçant loin de son propre terroir, le poète se sent également confronté à une crise d’identité exacerbée par l’ignorance et le mépris de ses « frères aux yeux bleus ». En effet, ces derniers avaient refusé à l’Africain toute capacité de jugement esthétique, voire toute aptitude aux modes de connaissance scientifiques. Leurs jugements dans l’ensemble réduisaient la civilisation africaine à l’état primitif, marquant par là son infériorité par rapport à la civilisation occidentale, sinon son inexistence. Et à l’heure où Senghor se penchait sur ses premiers poèmes, l’entreprise d’annihilation de la civilisation africaine, en faveur du rationalisme occidental, battait encore son plein dans l’étendue des pays colonisés. Et voilà que le poète noir, placé au milieu de deux situations antinomiques, avec la volonté d’affirmer son identité au sein d’un monde hostile à sa civilisation, devait faire part de leur coexistence. Dans un premier temps, Senghor s’est donné la tâche de manifester les valeurs de la culture noire dans tous ses aspects. Pour ce faire, il procède à un retour aux sources pour renouer le lien ombilical qui a une fois existé entre son peuple et lui-même.
Le besoin de se replacer dans un cadre africain anticipe le choix du poète de se préserver contre toute tentative d’assimilation à la culture de l’Autre. C’est ainsi que Senghor, soumis à l’épreuve du