Autrui
1. Moi et les autres
En un sens, autrui se présente avec évidence comme notre semblable et notre égal : il est membre, comme moi, de l’espèce humaine et les différences qui nous séparent sont secondaires, car elles portent le plus souvent sur des aspects de notre corps ou de notre vie spirituelle auxquels nous n’attachons pas la plus grande importance. Dans ce cas, le « je » reconnaît bien volontiers qu’il appartient à un « nous » ; mais les individus doivent en contrepartie se découvrir comme interchangeables. En un autre sens, il faut bien admettre que la prétention du moi est première : alors la présence d’autrui perd de son évidence. Parmi les comportements des êtres que contient le monde, certains offrent des similitudes assez nettes avec le mien, mais jamais rien ne prouve rigoureusement que j’ai affaire à un « moi » égal au mien. Je suis loin de retrouver à propos d’autrui – ou de celui que je suppose être tel –, la richesse et la continuité de sentiments et de pensées que je dois à ma propre conscience. Les relations que je peux entretenir avec autrui sont donc trouées de lacunes et marquées d’incertitude.
2. Phénoménologie d’autrui
C’est pourtant de moi-même que je dois partir pour constituer le type d’être d’autrui, établir son originalité par rapport à tous les phénomènes auxquels on a affaire. Si je promène mon regard sur le monde, je peux observer les objets et les qualités. Le phénomène « autrui » doit avoir ses caractéristiques propres : en m’apparaissant, autrui devrait apporter un sens que je puisse penser et provoquer de ma part la reconnaissance d’un autre ego. Paul Ricœur résume ainsi le propos que tient Husserl dans ses Méditations cartésiennes : « Le sens ‘‘autrui’’ est emprunté au sens ‘‘moi’’, parce qu’il faut d’abord donner sens à ‘‘moi’’ et à ‘‘mon propre’’, pour donner sens à ‘‘autrui’’ et à ‘‘monde d’autrui’’. Il y a ‘‘étranger’’ parce qu’il y a ‘‘propre’’ et non l’inverse. Le sens ‘‘moi’’ se transfère de moi à