« A-t-on les mêmes idées ?»

Comme depuis plus d'une quinzaine d'années chaque matin, Vincent se réveille en compagnie de son chien. Et comme chaque fois, tous deux ont du mal à se lever : l'un habité par la paresse, l'autre atteint par un début de vieillesse. Les mâchoires écartées à l’extrême en même temps, ils ont la complicité d’un vieux couple. Quelques rayons de soleil viennent les caresser, les remplissant du frisson des belles matinées. Ils ont pour ambition de profiter pleinement de leur journée, en ce début d’été. Le sentiment d’exister qui s’allie à l’expérience, faisant rêver à plein de projets. L’envie de commencer, ces deux êtres sont prêts à faire le premier pas… Quand le feu devient vert.

C’est dans un concert de moteurs, dans un nuage de gaz polluants et devant un film de carrosseries mobiles que Vincent et Bubbles se réveillent. Le banc redevient froid et humide de la rosée du matin. Les passants se bousculent déjà à côté d’eux et s’agitent pour entrer dans la station de métro située à quelque pas d’eux. Vincent est maintenant assis au centre du banc, les bras étalés sur le dossier, tentant de récupérer un peu de plaisir détruit. Il observe tous ces gens devant lui. Une moitié en costume et cravate et l’autre en tailleur et chemisier blanc. Il imagine les soucis qu’ils peuvent avoir dans la vie quotidienne : s’ils auront leur rentrée d’argent le mois prochain, si ce qu’ils achètent est polluant à la fabrication, si leurs enfants réussiront un jour dans leur vie… Toutes ces questions n’ont plus de sens pour cet homme de la rue, pour lui persiste seulement la notion de survie et d’accoutumance à sa condition. Bien sûr, il tente de temps à autre des retours dans le monde en face de lui, en adressant la parole à des passants. Mais peu daignent lui répondre. Il sait que faire des farces avec Bubbles lui ferait passer le temps, mais aujourd’hui il veut prendre la peine de retrouver une trace de son passé dans chaque passant qu’il observe.