Bac2012
Le père et la mère donnèrent d’abord un gouverneur au jeune marquis: ce gouverneur, qui était un homme du bel air, et qui ne savait rien, ne put rien enseigner à son pupille. Monsieur voulait que son fils apprît le latin, madame ne le voulait pas. Ils prirent pour arbitre un auteur qui était célèbre alors par des ouvrages agréables. Il fut prié à dîner. Le maître de la maison commença par lui dire: « Monsieur, comme vous savez le latin, et que vous êtes un homme de la cour... — Moi! monsieur, du latin! je n’en sais pas un mot, répondit le bel esprit, et bien m’en a pris: il est clair qu’on parle beaucoup mieux sa langue quand on ne partage pas son application entre elle et les langues étrangères. Voyez toutes nos dames, elles ont l’esprit plus agréable que les hommes; leurs lettres sont écrites avec cent fois plus de grâce; elles n’ont sur nous cette supériorité que parce qu’elles ne savent pas le latin.
— Eh bien; n’avais-je pas raison? dit madame. Je veux que mon fils soit un homme d’esprit, qu’il réussisse dans le monde; et vous voyez bien que, s’il savait le latin, il serait perdu. Joue-t-on, s’il vous plaît, la comédie et l’opéra en latin? plaide-t-on en latin, quand on a un procès? fait-on l’amour en latin? » Monsieur, ébloui de ces raisons, passa condamnation, et il fut conclu que le jeune marquis ne perdrait point son temps à connaître Cicéron, Horace et Virgile. « Mais qu’apprendra-t-il donc? car encore faut-il qu’il sache quelque chose; ne pourrait-on pas lui montrer un peu de géographie? — A quoi cela lui servira-t-il? répondit le gouverneur. Quand M. le marquis ira dans ses terres, les postillons ne sauront-ils pas les chemins? ils ne l’égareront certainement pas. On n’a pas besoin d’un quart de cercle pour voyager, et on va très commodément de Paris en Auvergne sans qu’il soit besoin de savoir sous quelle latitude on se trouve.
— Vous avez raison, répliqua le père; mais j’ai entendu parler d’une belle