Baudelaire : petits poèmes en prose (1862) : "le fou et la vénus"
Texte étudié : Quelle admirable journée ! Le vaste parc se pâme sous l'oeil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l'Amour. L'extase universelle des choses ne s'exprime par aucun bruit; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différentes des fêtes humaines, c'est ici une orgie silencieuse. On dirait qu'une lumière toujours croissante fait de plus en plus étinceler les objets ; que les fleurs excitées brûlent du désir de rivaliser avec l'azur du ciel par l'énergie de leurs couleurs, et que la chaleur, rendant visibles les parfums, les fait monter vers l'astre, comme des fumées. Cependant, dans cette jouissance universelle, j'ai aperçu un être affligé. Aux pieds d'une colossale Vénus, un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l'Ennui les obsède, affublé d'un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sornettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l'immortelle déesse. Et ses yeux disent : "Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d'amour et d'amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux. Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l'immortelle beauté ! Ah ! déesse ! Ayez pitié de ma tristesse et de mon délire." Mais l'implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre. Introduction : • Le poème "Le Fou et la Vénus" comporte sept strophes réparties autour d'un lien logique central : "Cependant", qui souligne l'opposition entre la magnificence de la nature et le désespoir et la solitude du bouffon ; mais aussi entre la vision d'ensemble et détaillée centrée sur deux personnages : le bouffon et la Vénus. Enjeu du poème : La description de la nature montre qu'il s'agit d'un monde idéal. Mais l'apparition du fou montre la situation du poète face au monde et fait apparaître que l'idéal est menacé