Beaumarchais
Scène V
DOM JUAN, SGANARELLE.
DOM JUAN: Holà, hé, Sganarelle!
SGANARELLE: Plaît-il?
DOM JUAN: Comment? coquin, tu fuis quand on m'attaque?
SGANARELLE: Pardonnez-moi, Monsieur; je viens seulement d'ici près. Je crois que cet habit est purgatif, et que c'est prendre médecine que de le porter.
DOM JUAN: Peste soit l'insolent! Couvre au moins ta poltronnerie d'un voile plus honnête. Sais-tu bien qui est celui à qui j'ai sauvé la vie?
SGANARELLE: Moi? Non.
DOM JUAN: C'est un frère d'Elvire.
SGANARELLE: Un.
DOM JUAN: Il est assez honnête homme, il en a bien usé, et j'ai regret d'avoir démêlé avec lui.
SGANARELLE: Il vous serait aisé de pacifier toutes choses.
DOM JUAN: Oui; mais ma passion est usée pour Done Elvire, et l'engagement ne compatit point avec mon humeur. J'aime la liberté en amour, tu le sais, et je ne saurais me résoudre à renfermer mon cœur entre quatre murailles. Je te l'ai dit vingt fois, j'ai une pente naturelle à me laisser aller à tout ce qui m'attire. Mon cœur est à toutes les belles, et c'est à elles à le prendre tour à tour, et à le garder tant qu'elles le pourront. Mais quel est le superbe édifice que je vois entre ces arbres?
SGANARELLE: Vous ne le savez pas?
DOM JUAN: Non, vraiment.
SGANARELLE: Bon! c'est le tombeau que le Commandeur faisait faire lorsque vous le tuâtes.
DOM JUAN: Ah! tu as raison. Je ne savais pas que c'était de ce côté-ci qu'il était. Tout le monde m'a dit des merveilles de cet ouvrage, aussi bien que de la statue du Commandeur, et j'ai envie de l'aller voir.
SGANARELLE: Monsieur, n'allez point là.
DOM JUAN: Pourquoi?
SGANARELLE: Cela n'est pas civil, d'aller voir un homme que vous avez tué.
DOM JUAN: Au contraire, c'est une visite dont je lui veux faire civilité, et qu'il doit recevoir de bonne grâce, s'il est galant homme. Allons, entrons dedans.
Le tombeau s'ouvre, où l'on voit un superbe mausolée et la statue du Commandeur.