Bergson, le langage
D’où nous vient cette impression que le langage échoue parfois à traduire nos pensées ou nos sentiments ? Question essentielle, puisque la valeur de la communication se trouve ici en question. Si nous parvenons à déterminer la cause de ces imprécisions apparentes, alors peut-être parviendrons-nous à les surmonter. « Nous ne voyons pas les choses mêmes », attaque Bergson : affirmation fondamentale, et même inaugurale, de la philosophie. Ce constat semble en effet s’imposer dès lors que nous entérinons la différence entre la stabilité des choses autour de nous et la variation presque infinie des sensations qu’elles nous procurent (voir ce cours). Il n’existait ici nulle difficulté, et, qu’on cite Russell, Sextus Empiricus, Descartes ou encore Platon, les auteurs de référence ne manquaient pas pour approfondir. Bergson ajoute tout de même une précision : l’écart entre le monde et la représentation que nous nous en faisons, qui correspond exactement au problème de la subjectivité tel qu’il est exposé dans ce cours, ne consiste pas tant à fausser le réel qu’à le simplifier abusivement : « nous nous bornons […] à lire des étiquettes ». L’auteur ajoute qu’il s’agit là pour nous d’une « tendance issue du besoin », sous-entendu que cette simplification par la conscience favorise la satisfaction de nos besoins (manger, boire, dormir…) – autrement dit, que cette simplification constitue un atout pour la survie. Ce point méritait examen et explication, par exemple par le recours à Nietzsche (Gai Savoir, §111) ; mais sans citer cet auteur, il était quand même possible de signaler que, dans un contexte de lutte pour la survie, l’individu a intérêt à négliger les différences singulières qui peuvent exister entre tel ours et tel autre ours, ou entre telle pomme et telle autre pomme. Celui qui identifie plus vite les dangers les uns aux autres,