Berlioz, euphonia, ou la ville musicale
EUPHONIA, OU LA VILLE MUSICALE.
Nouvelle de l’avenir.
On joue, etc., etc., etc.
A peine les premiers accords de l’ouverture sont-ils frappés, que Corsino déroule son manuscrit, et lit ce qui suit avec accompagnement de trombones et de grosse caisse. Nous l’entendons néanmoins, grâce à l’énergie et au timbre singulier de sa voix.
— Il s’agit, messieurs, dit-il, d’une nouvelle de l’avenir. La scène se passera en 2344, si vous le voulez bien.
EUPHONIA
OU LA VILLE MUSICALE
PERSONNAGES : — Xilef, compositeur, préfet des voix et des instruments à cordes de la ville d’Euphonia. Shetland, compositeur, préfet des instruments à vent. Mina, célèbre cantatrice danoise. Madame Happer, sa mère. Fanny, sa femme de chambre.
Première lettre.
Sicile, 7 juin 2344.
XILEF A SHETLAND.
Je viens de me baigner dans l’Etna ; ô mon cher Shetland ! quelle heure délicieuse j’ai passée à sillonner à la nage ce beau lac frais, calme et pur ! son bassin est immense, mais sa forme circulaire et l’escarpement de ses bords en rendent la surface sonore au point que ma voix parvenait sans peine du centre aux parties du rivage les plus éloignées. Je m’en suis aperçu en entendant applaudir des dames siciliennes qui se promenaient en ballon à plus d’une demi-lieue de l’endroit où je m’ébattais comme un dauphin en gaieté. Je venais de chanter en nageant une mélodie que j’ai composée ce matin même sur un poëme en vieux français de Lamartine, que l’aspect des lieux où je suis m’a remis en mémoire. Ces vers me ravissent. Tu en jugeras ; Enner m’a promis de traduire le Lac en allemand.
Que n’es-tu là ! nous courrions ensemble à cheval ; je me sens plein de verdoyante jeunesse, de force, d’intelligence et de joie. La nature est si belle autour de moi ! Cette plaine où fut Messine est un jardin enchanté ; partout des fleurs ; des bois d’orangers, des palmiers inclinant leur tête gracieuse. C’est l’odorante couronne de cette coupe divine, au fond de laquelle rêve aujourd’hui