Bichon
Mythologies est un recueil d'articles écrits entre 1954 et 1956 par Roland Barthes
(1915-1980), où il analyse les différents aspects de la vie quotidienne en France à cette époque.
Paris-Match nous a raconté une histoire qui en dit long sur le mythe petit-bourgeois du Nègre. Un ménage de jeunes professeurs a exploré le pays des Cannibales pour y faire de la peinture ; ils ont amené avec eux leur bébé de quelques mois, Bichon.
On s'est beaucoup extasié sur le courage des parents et de l'enfant. [
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Le voyage des parents de Bichon dans une contrée située d'ailleurs très vaguement, et donnée surtout comme le Pays des Nègres Rouges, sorte de lieu romanesque dont on atténue, sans en avoir l'air, les caractères trop réels, mais dont le nom légendaire propose déjà une ambiguïté terrifiante entre la couleur de leur teinture et le sang humain qu'on est censé y boire, ce voyage nous est livré ici sous le vocabulaire de la conquête : on part non armé sans doute, mais « la palette et le pinceau à la main », c'est tout comme s'il s'agissait d'une chasse ou d'une expédition guerrière, décidée dans des conditions matérielles ingrates (les héros sont toujours pauvres, notre société bureaucratique ne favorise pas les nobles départs), mais riche de son courage et de sa superbe (ou grotesque) inutilité. Le jeune Bichon, lui, joue les Parsifal1, il oppose sa blondeur, son innocence, ses boucles et son sourire, au monde infernal des peaux noires et rouges, aux scarifications et aux masques hideux. Naturellement, c'est la douceur blanche qui est victorieuse : Bichon soumet « les mangeurs d'hommes » et devient leur idole (les Blancs sont décidément faits pour être des dieux). Bichon est un bon petit Français, il adoucit et soumet sans coup férir les sauvages
: à deux ans, au lieu d'aller au bois de Boulogne, il travaille déjà pour sa patrie, tout comme son papa, qui, on ne sait trop pourquoi, partage la vie d'un peloton de méharistes et traque « les pillards » dans