Blaise pascal
Image d'un homme qui s'est lassé de chercher Dieu par le seul raisonnement, & qui commence à lire l'Escriture.
En voyant l'aveuglement & la misere de l'homme, & ces contrarietez étonnantes qui le découvrent dans sa nature, & regardant tout l'univers müet, & l'homme sans lumiere, abandonné à luy mesme, & comme égaré dans ce recoin de l'univers, sans sçavoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant ; j'entre en effroy comme un homme qu'on auroit porté endormy dans une isle deserte & effroyable, & qui s'éveilleroit sans connoistre où il est, & sans avoir aucun moyen d'en sortir. Et sur cela j'admire comment on n'entre pas en desespoir d'un si miserable estat. Je vois d'autres personnes auprés de moy de semblable nature. Je leur demande s'ils sont mieux instruits que moy, & ils me disent que non. Et sur cela ces miserables égarez ayant regardé autour d'eux, & ayant vû quelques objets plaisants s'y sont donnez, & s'y sont attachez. Pour moy je n'ay pû m'y arrester, ny me reposer dans la societé de ces personnes semblables à moy, miserables comme moy, impuissantes comme moy. Je vois qu'ils ne m'aideroient pas à mourir : je mourray seul : il faut donc faire comme si j'estois seul : or si j'estois seul, je ne bastirois pas des maisons, je ne m'embarrasserois point dans des occupations tumultuaires, je ne chercherois l'estime de personne, mais je tâcherois seulement de découvrir la verité.
Ainsi considerant combien il y a d'apparence qu'il y a autre chose que ce que je vois, j'ay recherché si ce Dieu dont tout le monde parle n'auroit point laissé quelques marques de luy. Je regarde de toutes parts, & ne vois partout qu'obscurité. La nature ne m'offre rien qui ne sois matiere de doute & d'inquietude. Si je n'y voyois rien qui marquast une divinité, je me déterminerois à n'en rien croire. Si je voyois par tout les marques d'un Createur, je reposerois en paix dans la foy. Mais voyant trop pour nier, & trop peu pour m'assurer, je suis