bovary_ecrivain_au_travail_temoins_eleves
Puis nous revenions à son travail de la journée. Là, il est heureux de me lire toute fraîche éclose la phrase qu'il vient de terminer ; j'assiste, témoin immobile, à la lente création de ces pages si durement élaborées.
Le soir, la même lampe nous éclaire ; moi assise au bord de la large table, je m'occupe à quelque ouvrage d'aiguille, ou je lis ; lui se débat sous l’effort du travail ; tantôt penché en avant il écrit fiévreusement, se renverse en arrière, empoigne les deux bras de son fauteuil et pousse un gémissement, c'est par instants comme un râle.
Mais tout à coup sa voix module doucement, s'enfle, éclate : il a trouvé l'expression cherchée, il se répète la phrase à lui-même. Alors il se lève vivement et parcourt à grands pas son cabinet, il scande les syllabes en marchant, il est content, c'est un moment de triomphe après un labeur épuisant.
Arrivé à une fin de chapitre, souvent il se donnait un jour de repos pour nous le lire tout à l'aise, en voir « l'effet ».
Il lisait d'une façon unique, chantante et dont l'emphase, qui au commencement paraissait exagérée, finissait par plaire extrêmement. Ce ne sont pas seulement ses œuvres qu'il nous lit ; de temps en temps il nous donnait de vraies séances littéraires, se passionnant aux beautés qu'il rencontrait ; son enthousiasme était communicatif, impossible de rester froid, on vibrait avec lui.
Souvenirs intimes, Caroline Commanville, Paris, décembre 1886.
Texte 2
Dans un fauteuil de chêne à haut dossier, il est assis, enfoncé, la tête rentrée entre ses fortes épaules ; et une petite calotte en soie noire, pareille à celles des ecclésiastiques, couvrant le sommet du crâne, laisse échapper de longues mèches de cheveux gris, bouclés par le bout et répandus sur le dos. Une vaste robe de chambre en drap brun semble l'envelopper tout entier, et sa figure, que coupe une forte moustache blanche aux bouts tombants, est penchée sur le papier. Il le fixe, le parcourt sans cesse de sa pupille aiguë, toute petite,