Britannicus racine
Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance.
Ces murs mêmes, Seigneur, peuvent avoir des yeux ;
Et jamais l’Empereur n’est absent de ces lieux.
BRITANNICUS
Et depuis quand, Madame, êtes-vous si craintive ?
Quoi ! déjà votre amour souffre qu’on le captive ?
Qu’est devenu ce coeur qui me jurait toujours
De faire à Néron même envier nos amours ?
Mais bannissez, Madame, une inutile crainte.
La foi dans tous les coeurs5 n’est pas encore éteinte ;
Chacun semble des yeux approuver mon courroux ;
La mère de Néron se déclare pour nous.
Rome, de sa conduite elle-même offensée…
JUNIE
Ah ! Seigneur, vous parlez contre votre pensée.
Vous-même, vous m’avez avoué mille fois
Que Rome le louait d’une commune voix ;
Toujours à sa vertu vous rendiez quelque hommage.
Sans doute la douleur vous dicte ce langage.
BRITANNICUS
Ce discours me surprend, il le faut avouer.
Je ne vous cherchais pas pour l’entendre louer.
Quoi ! pour vous confier la douleur qui m’accable,
À peine je dérobe un moment favorable,
Et ce moment si cher, Madame, est consumé6
À louer l’ennemi dont je suis opprimé ?
Qui vous rend à vous-même, en un jour, si contraire7 ?
Quoi ! même vos regards ont appris à se taire ?
Que vois-je ? Vous craignez de rencontrer mes yeux ?
Néron vous plairait-il ? Vous serais-je odieux ?
Ah ! si je le croyais… Au nom des Dieux, Madame,
Éclaircissez le trouble où vous jetez mon âme.
Parlez. Ne suis-je plus dans votre souvenir ?
JUNIE
Retirez-vous, Seigneur ; l’Empereur va venir.
BRITANNICUS
Après ce coup, Narcisse, à qui dois-je m’attendre8 ?
Jean Racine, Britannicus, acte II, scène 6,